Chapitre 1 – Vanessa

Retour aux sources

Mon regard s’éveille brusquement. La première chose sur laquelle mes yeux se posent, c’est mon armoire. Un cauchemar. Encore un. Voilà deux semaines que ça dure. Il est six heures et quart du matin et le quartier du marais est déjà réveillé. En témoignent les klaxons énervés des véhicules piégés par un camion de livraison à l’arrêt sur la voie unique de la rue Pecquay. La ville fait un boucan monstre, mais ce n’est pas pour cela que je suis réveillée. Une fois passée de l’autre côté, je n’arrive jamais à me rendormir.

– Bon, au moins je vais avoir du temps pour me préparer.

J’attrape mon téléphone. Un message venant de Thibault, ma dernière conquête, apparait dans les notifications : « Ca fait longtemps qu’on ne s’est vus, donne de tes nouvelles ! ». J’ai un autre message. C’est Tata Mado qui m’a écrit : « Finalement viens pour 15h, ta mère et moi on va chez Tonton Boniface avant le repas ». Je trouve les changements d’horaires à la dernière minute tellement énervants. Je me laisse retomber dans mes draps de soie. Parce que d’accord, j’habite un dix mètres carré à sept cent euros le loyer mais je dors dans des draps de soie. Mon sommeil n’est vraiment pas satisfaisant, c’est comme si je n’avais pas dormi de la nuit.

En réalité, mon sommeil est tourmenté depuis que j’ai déménagé il y a huit mois. Nouveau boulot, nouvel appartement, et pourtant je ne suis pas convaincue. Quelque chose n’est toujours pas comblé. Mais quoi ? Est-ce que je vais finir par être satisfaite ? Cette question me rappelle des souvenirs d’enfance. Je me la posais déjà à l’époque, lorsque j’analysais ma famille. La relation avec Maman est un concentré d’amour et de protection, Tata Mado et Tonton Boniface ont fait office de parents plus que présents malgré leur divorce. Ce n’est pas le souvenir amer des trois rencontres inopinées à dix, quinze et dix-huit ans avec mon géniteur qui doivent gâcher cette journée. D’accord, ce n’est pas commun de croiser ce mec en vélo durant une sortie scolaire, surtout lorsqu’on est en présence de ses copines qui pensent que ce même homme est un homme d’affaires qui vit à Los Angeles. Le seul fait qu’il m’ait salué comme si j’étais une vague connaissance était assez perturbant, voire un brin vexant. Mais la réponse n’est peut-être pas là, ou alors il faut creuser. Bon sang Vané, tu ne vas tout de même pas nous faire le remake de « j’ai des problèmes avec mon père », si ? Tu ne penses pas que tes amies ont d’autres choses à gérer que tes problèmes ?Je me souviens de quelque chose. Quelque chose que j’ai vu dans mon rêve. Je vais le noter dans mon petit carnet violet. Je m’y confie de plus en plus depuis le début de ma thérapie. Thérapie que je suis en toute discrétion, connaissant l’avis de Maman sur ces charlatans à lunettes (c’est ainsi qu’elle les appelle). J’ai noté quelques mots que je me souviens avoir vus sur un tableau noir, dans mon rêve. Peuuh Mbèh.

Huit heures trente-sept. Il faut que je me lève. C’est fou comme le temps passe vite sur Instagram. Après m’être étirée, je suis allée manger un bol de céréales. En temps normal, je ne mangerais pas le matin, mais aujourd’hui c’est une journée spéciale. Si Maman se rendait compte que j’arrivais sans rien dans l’estomac, elle serait folle d’inquiétude. Et je ne préfère pas devenir le sujet principal du week-end. Pas à cause de mon alimentation douteuse, en tout cas.Pour me rendre à Fontainebleau, il me faudra au moins deux heures. Il est donc temps de s’apprêter. Le bol de céréales fini, je décide de me mettre dans l’ambiance de fête qui m’attend à la maison et pour ça j’ai LA playlist Spotify parfaite : elle s’appelle « Enjaillement ». Je remplace ma charlotte en satin par ma dernière acquisition : une perruque aux cheveux raides, noirs et longs jusqu’aux épaules. Je maîtrise parfaitement l’art de se mettre du eye-liner, j’aime accentuer mes yeux en amandes. Une fois ma peau teintée et sculptée, j’ajoute une touche glamour de rouge à lèvres mat. Il ne reste plus qu’à enfiler la robe qu’Orné m’a offerte pour mon dernier anniversaire. Une robe Kroskel rouge, qui ne laisse passer l’air que par le décolleté plongeant qu’elle offre. Cette robe, c’est un petit bijou. Après l’avoir enfilé, je retourne analyser mon galbe dans le miroir de la salle de bain. Ma nouvelle vie à Paris a beau ne pas être exactement comme je le souhaite, j’affiche toujours la même silhouette élancée et tonique que j’avais avant de partir de la maison. Tata Mado m’a toujours dit que la ville faisait grossir, je suis l’exception qui confirme la règle ! Pour célébrer ce petit soulagement, je décide de faire une photo pour mes cinq mille huit cent douze abonnées sur Instagram.

C’est vrai, j’aime plaire et mes photos engageantes sur les réseaux en sont une preuve. Mais je suis aussi d’une loyauté sans pareil : attaquez ceux que j’aime et vous découvrirez le typhon qui sommeille en moi. En parlant de typhon, la tempête qui est passé dans mon armoire hier m’a fait perdre l’avance que j’avais gagné avec mon réveil précoce. Qu’est-ce que je vais mettre dans mon sac pour rester splendide ? Mes proches diront que l’attribut qui me caractérise le plus, c’est sans aucun doute mon addiction au retard. Cette remarque m’amuse tellement ! Je réponds toujours : « Être désirée pour mieux régner ».

Seize heure douze. Je suis arrivée à bon port. Je suis garée devant la maison de mon enfance. J’ai un peu transpiré durant ce voyage donc une petite retouche maquillage s’impose. Le thème de la fête du jour, c’est pas les années disco donc inutile de briller comme une boule à facettes. Je sors de la voiture. La chaleur est un doux souvenir, le mois de novembre a laissé place aux températures négatives. Il est temps d’aller célébrer l’anniversaire de ma cousine.

J’entre sans toquer, une habitude qui n’a pas lieu de disparaître. Tata Mado est dans l’entrée en train de ranger les chaussures des invités. Lorsqu’elle m’a vu franchir le seuil de la porte, un sourire s’est dessiné sur son visage. Deux mois qu’on ne s’est pas vues. Moi aussi, je suis heureuse de la revoir après tout ce temps. Après un câlin de bienvenue, Tata Mado annonce mon arrivée avec tout l’air présent dans son diaphragme.- Tata Vané est arrivée !Tonton Joseph, Tonton Gaby, Tata Nikè, Shegun, Tolu, Bimbim, Anika, Cédric et d’autres… Tout le monde est là, enfin presque. J’avais invité les autres mais je ne les vois pas. Tonton Joseph me salue en chantant toujours la même chanson (qui consiste à chanter en boucle « Lolita », parce que d’après lui j’ai toujours été la plus belle fille de la famille). Il lance à Maman :

– Marie, la star est arrivée.

Maman se retourne et avec plein de tendresse me prend dans ses bras.- Avec toi c’est toujours minimum une heure de retard, c’est grave quand même. Tu n’as pas oublié les plantains hein ?- Désolée Maman. Mais cette plastique de rêve ne s’est pas apprêtée toute seule ! J’espère que vous ne m’avez pas attendue pour commencer les festivités.Maman ricane et me rassure :- Ma Vané, tu ne connais plus ces gens ? Qui, ici, va t’attendre pour manger ?Un fou rire général a répondu à sa blague. On a le même humour taquin Maman et moi.La musique est bonne, Salatiel nous enjaille avec son dernier hit. Les enfants se chamaillent sur le balcon pour une histoire de billes et l’un d’eux décide de faire appel à Tonton Gaby, car incapables d’arranger la situation. J’aperçois enfin la star de la fête. Posée sur la table ronde près de la fenêtre, magnifiquement innocente. Il semble que le cadre de sa photo ait été changé pour l’occasion. La table qui la soutient est dressée d’une grande nappe blanche aux finitions dorées. Des fleurs en plastique, les mêmes que l’année dernière, viennent tapisser le reste de l’espace disponible sur la table.Sept ans. Voilà sept années que la première fille de Tata Mado est morte. Mais elle continue de fêter son anniversaire. Maman n’était pas contre l’idée de célébrer sa nièce. A vrai dire, c’était soit ça, soit sa sœur tombait dans la folie. Je ne comprends toujours pas cette coutume restée au programme annuel. Mais bon, il faut faire avec. Comment le refuser à Tata Mado, elle qui a tout donné pour que ni Maman, ni moi ne manquions de rien ?

– Elle aurait eu trente ans aujourd’hui.

J’esquisse un sourire compatissant à Tata Mado qui s’était approchée discrètement. On regarde la photo de l’enfant disparue sans un mot. Je ferme les yeux et je décide de faire une petite prière, pour que ma cousine continue de veiller sur nous.Il est dix-huit heures et la fête bat son plein. L’ambiance y est chaleureuse malgré le thème sinistre. Différents groupes se sont formés depuis mon arrivée : les petits groupes de commérages, le groupe de battle de danse sur le dernier album de Beyoncé et le groupe des preneurs de nouvelles (aussi appelé le groupe de création de commérages). Après avoir fait le tour des groupes, je décide de m’installer dans le jardin pour prendre un peu d’air. L’air n’est pas très différent de Paris finalement. L’odeur de la pollution règne. Depuis qu’ils ont fait construire une nationale à cinq minutes de la maison, ce n’est plus ce que c’était. J’ai l’impression d’être dans un embouteillage constant. Cette seule pensée m’a fait retomber dans mon angoisse matinale. Malgré les champs dorés encore éclairées par le soleil couchant, cette odeur empeste mes pensées. Qu’est-ce qui cloche chez moi enfin ?

– On t’a trop manqué ! Voilà ce qui cloche.Mince, j’ai pensé à voix haute. Je me retourne pour voir qui a eu le malheur de me surprendre et là j’aperçois Ndjo’o et Paradis.

– Mes gos sûres ! La soirée commence vraiment donc. Paradis, tu t’es fait belle hein ! Ndjo’o toujours fidèle à ton style, c’est comment ?

– Ah tu connais, inutile de changer une équipe qui gagne, me répond Ndjo’o en faisant semblant de nettoyer son épaule.

– Où sont les autres ? Je croyais vraiment que personne ne viendrait.

– Tu sais bien que Fentchen n’aime pas les soirées en l’honneur des morts. Orné et Maternelle n’étaient pas disponibles. Et Bibiche, tu la connais aussi.

– Si c’est pour gaspiller de l’argent pour des cadeaux destinés à une enfant morte il y a bientôt dix ans, c’est sans moi, renchérit Paradis en imitant l’air snob que Bibiche pouvait prendre lorsqu’il s’agissait de tourner les idées inhabituelles en ridicule. C’est ce qu’elle a dit mot pour mot.

Le sombre nuage qui avait alors fait surface quelques minutes auparavant s’est estompé pour laisser place à de l’excitation. Je suis vraiment contente de les revoir.


le 22 janvier 2021 à 12:15

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